Le long mur de béton coupé par un escalier ferme la grande cour de la maison centrale de Poissy. Ici sont enfermés 230 détenus, dont 80 % condamnés à des peines de plus de vingt ans de réclusion. Cette cour n'est qu'un vaste vide entre des bâtiments disparates, les uns du Second Empire, d'autres des années 1970, dont un gymnase. Pour l'atteindre, il faut passer par tout ce que l'on peut imaginer de guichets, portiques magnétiques, sas et couloirs à angles droits, jusqu'à déboucher au seuil de cette place vide. Les tableaux sont de l'autre côté, sur leur mur gris.
Etrange lieu pour une exposition. Ce ne sont pas des tableaux, évidemment. Pas en plein air et pas ceux-ci, si célèbres, La Diseuse de bonne aventure, du Caravage, La Madeleine à la veilleuse, de De La Tour. Les dix images alignées côte à côte, chacune au-dessus de son cartel imprimé, chacune avec son éclairage, sont des fac-similés grandeur nature de ces toiles photographiées avec leurs cadres dorés. Des impressions numériques sur aluminium, dont la qualité de reproduction déconcerte encore un peu plus le regard.
Ces dix oeuvres forment l'exposition, intitulée "Au-delà des murs". Elles ont été choisies par des détenus de Poissy, pour ce qui est la première expérience de ce genre. Jusqu'ici, ici comme dans les autres centrales françaises, le cinéma, le théâtre, les arts plastiques, la littérature avaient été régulièrement invités à venir rompre la monotonie des années d'enfermement, mais pas l'activité muséale. Cette nouveauté est le résultat de la collaboration entre le Musée du Louvre et le Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) des Yvelines.
Elle a commencé en juillet 2010 quand la direction de la prison a demandé des volontaires parmi les détenus. Elle en a retenu dix parmi les candidats, dont cinq avaient déjà travaillé dans les ateliers de peinture et de sculpture de la centrale. Ils ont été pris non pour leurs connaissances artistiques, mais pour l'intensité de leur désir. A ces dix hommes, l'équipe du Louvre a présenté 26 oeuvres, sur les 120 pour lesquelles il dispose d'images de très haute définition permettant l'impression sur aluminium. Chacun devait en choisir une, préparer ses pages de présentation pour le catalogue, penser à l'accrochage en composant avec les décisions des autres et les nécessités de l'endroit : accomplir des tâches de commissaire d'exposition, autrement dit.
Henri Loyrette, directeur du Louvre, est venu deux fois discuter avec les dix détenus. L'écrivain Luc Lang a suivi la rédaction du catalogue et l'architecte et scénographe Philippe Maffre a donné des conseils pour la présentation et aidé à la réalisation d'une maquette préparatoire. Mais le choix des oeuvres a été du seul ressort des détenus, choix très varié, du sujet religieux à la marine, de Mantegna à Géricault en passant par Murillo et Patinir. "Nous voulions que les détenus s'emparent du projet, dit Claire Mérigonde, directrice du SPIP des Yvelines. Et c'est ce qui s'est passé."
La sélection s'est décidée entre eux sans peine. La Crucifixion, de Mantegna, a été choisie par deux détenus, L'Arbre aux corbeaux, de Friedrich, a fait mieux encore, réunissant immédiatement les suffrages de trois d'entre eux. Pourquoi ce paysage, éclairé par le couchant ? "Il représente beaucoup pour nous, dit un détenu. Un arbre avec des corbeaux, c'est la lourdeur, c'est la prison." Celui qui présente le Friedrich dans le catalogue en a aussi peint une copie, ajoutant une cellule fermée par des barreaux au pied du chêne. Celui qui s'est arrêté sur le Portrait d'une femme noire, de Marie-Guillemine Benoist, l'a aussi copié, plaçant un collier de fer autour du cou de la femme.
Si certains mettent en avant les couleurs ou la lumière, la plupart reconnaissent que "leur" toile est d'abord une parabole de leur condition. Du Derby d'Epsom, de Géricault, son commentateur fait observer "le paysage, espace de liberté" et voit dans "le poteau d'arrivée, le départ d'une nouvelle vie". La veilleuse de la Madeleine de La Tour "se consume comme notre vie", lit-on dans le catalogue. Quant au Jeune mendiant, de Murillo, le détenu qui l'a choisi y voit fermement l'annonce de la rédemption, l'enfant devant à ses yeux se métamorphoser en "jeune prince".
D'autres donnent des raisons autobiographiques. Ainsi, si la marine de Cuyp Bateaux pris dans l'orage figure contre toute attente dans cette anthologie de chefs-d'oeuvre, c'est qu'elle a rappelé à un détenu une sortie en mer un jour de tempête. "Alors, on est rien. Et ça, ça ne changera pas. En tout cas, c'est ce que j'espère." Devant la surprise que suscite son explication, il continue : "On ne voit pas la même chose que vous." De l'expérience de l'exposition, il retient qu'elle lui a donné les raisons d'aller à la bibliothèque de la centrale chercher des informations. "C'était une évasion - le mot interdit. C'était comme quand je peins ou je sculpte. J'ai la tête qui s'en va."
Détenus, gardiens et initiateurs du projet sont d'accord sur ce point. Si l'exposition a été accrochée dans la cour, c'est parce que la centrale ne dispose d'aucun espace qui permette d'y présenter des oeuvres originales ; mais aussi parce que, de la sorte, elle sera vue jusqu'au 29 avril par tous les détenus, tous les jours, et qu'elle pourra peut-être ainsi avoir des effets bénéfiques.
Philippe Dagen
(Le Monde)
vendredi 28 janvier 2011
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5 commentaires:
je trouve que cette idée de projet commun est fantastique...j'ai beaucoup aimé le fait que tu nous explique le choix des tableaux...
bravo à tous les participants à ce projet car il demande de l'implication, de savoir travailler en équipe...
l'art en général que ce soit peinture, musique, danse ..etc...arrive à faire ressortir le meilleur de soi-mème et c'est celà l'important....
Toutes les idées sont bonnes pour essayer de ventiler la tête des détenus condamnés, à la privation de liberté qui découle de leur peine, mais surtout à de mauvaises conditions de vie, d'hygiène, à la promiscuité, à la violence sous toutes ces formes, etc ... La situation des prisons est scandaleuse en France dans la plupart des cas. Il me semblait que des députés et sénateurs avaient visités les prisons après le cri d'alarme d'une médecin pénitentiaire ... Il y a déjà plusieurs années ! Je n'ai pas l'impression qu'il y ait du mieux !!!
Très intéressant, cet article, de même que cette belle initiative.
Un autre regard sur l'Art ne peut qu'enrichir le regard de tous.
V.
Belle initiative !
Je trouve aussi que la prison devrait être un lieu où l'on purge une peine, et pas plus. La privation de liberté est suffisante, toutes les horreurs qui s'y passent font honte à un pays civilisé.
Il y en aura encore pour parler de prisons 3 étoiles ...
Est- ce le début d' un nouveau courant pictural ?
Le tol' art par exemple !
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