jeudi 19 mai 2011

Captation prédatrice. "My little Princess" Cannes 2011.

L'HISTOIRE : Violetta, 10 ans, est élevée par sa grand-mère roumaine, Mamie, arrivée en France il y a quarante ans avec sa fille Hannah. Elles vivent dans un tout petit appartement en bordure du périphérique. Leur quotidien est ponctué par les apparitions de Hannah, la mère de Violetta, une photographe fantasque qui subvient plus ou moins aux besoins de la famille grâce au « mécénat » de son ami Ernst, peintre célèbre. Hannah, propose un soir, un nouveau jeu à sa fille : poser pour elle, maquillée, déguisée. Rapidement les photos plaisent, intriguent, déroutent. Violetta, poussée par sa mère, se prend au jeu, devient la petite princesse du milieu branché parisien... Règlement de comptes entre une mère et sa fille.Icône culte dans les années 70, Eva Ionesco reste célèbre pour son enfance et son adolescence mouvementées : elle a été modèle pédopornographique pour sa mère (la photographe Irina Ionesco) et actrice dans des productions extrêmes comme Maladolescenza (Jeux interdits de l'adolescence, 1976), un classique hardcore qui, s'il sortait aujourd'hui, serait immédiatement banni des écrans, ou Spermula avec Udo Kier, une production érotico-Z (même si sa scène a finalement été coupée au montage). Pour donner un repère plus mainstream, elle a joué la petite fille énigmatique dans Le Locataire, de Roman Polanski. Des décennies plus tard, Ionesco a construit ce premier film comme une semi-autobiographie basée sur ses propres souvenirs. Dans un premier temps, on serait tenté de trouver son point de vue intéressant : elle a bien connu les années 70, une époque bénie et aujourd'hui fantasmée sous prétexte que toutes les provocations artistiques étaient possibles à l'abri du puritanisme actuel.






Sa première audace, c'est de refuser la nostalgie et d'apporter un regard lucide sur les dérives branchouilles (peut-on tout se permettre sous le prétexte de l'art quand ça s'exprime au détriment de l'humain?). Comme pour exorciser, elle donne sa propre vision des événements, celle d'une enfant à l'innocence gâchée, en privilégiant les moments de solitude dans la cour de récré avec des camarades de classe jalouses ou chez sa grand-mère d'origine roumaine qui a toujours porté sur sa petite-fille un regard protecteur et bienveillant, à l'abri des excentricités d'une mère abusive (Isabelle Huppert, évidemment...). De toute évidence, elle justifie les excès passés par sa tristesse de petite fille, voulant retrouver une mère qui lui a manqué et qui, en retour, a exploité sa candeur et son amour. Ce n'était qu'une gamine sans arme et son corps, qui n'a pas encore connu les complexes adolescents, ne lui appartenait déjà plus (un viol, si l'on se fie au prénom Violetta). De toute évidence, elle lui veut encore et c'est parfaitement compréhensible. Mais l'absence d'objectivité a tendance à prendre le pas sur les autres éléments (la narration de conte, la reconstitution des années 70) pour laver le linge familial en public. Un juste retour des choses lorsque l'on sait - et voit - que son intimité a été exposée au grand jour. On ne peut pas lui en vouloir parce que ce cri vient du cœur et témoigne d'une souffrance abyssale mais il semble encore trop tôt pour dire s'il se cache une cinéaste prometteuse épaulée par une équipe technique douée (la chef-opératrice Jeanne Lapoirie, fidèle de François Ozon), capable de s'ouvrir aux autres, ou l'auteur d'un unique coup d'essai, centré sur son parcours hors du commun.

Romain LE VERN

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