vendredi 24 janvier 2014

figure imposée.

«De deux mots il faut choisir le moindre.» disait Paul Valéry. Celui qui parle hexagonal fait systématiquement le contraire. En hexagonal, la France devient l'Hexagone.
Dans La langue française, atout ou obstacle, Charles Durand commente ainsi le livre de Robert Beauvais sur l'hexagonal:

«En 1970, Robert Beauvais publiait "L'hexagonal tel qu'on le parle». "L'hexagonal", d'après la définition de l'auteur, est un langage qui dérive directement du français et semble, pour ses locuteurs, être mieux adapté à la définition d'une grande nation moderne. Écoutons Robert Beauvais

" Largement propagé par les moyens de diffusion actuels, Presse, Radio et Télévision, l'hexagonal est en train de gagner les masses auxquelles il s'impose par ces deux vertus à quoi le public contemporain résiste difficilement : la laideur et la prétention. Mais d'autres causes favorisent son développement ; parmi celles-ci notons en premier lieu ce que j'appellerai le "syndrome du garde champêtre".

On sait que le garde champêtre et les autres assermentés en uniforme ayant à choisir entre "nonobstant" et "malgré", ou "subséquemment" et "ensuite" iront d'instinct vers le plus redondant, cela en vertu de la fascination que les mots exercent, depuis toujours, sur les âmes simples.

En raison de ce syndrome du garde champêtre, il y aura toujours des gens pour penser que "ondée" est plus joli que "pluie", qui préféreront "opuscule" à "petit livre", "missive" à "lettre", «'expliciter" à "expliquer" et "pinacothèque" à "musée", "céphalalgie" à "mal de tête" et trouveront plus distingué d'avoir une protubérance qu'une bosse.

Ce n'est pas sans raison que les médecins d'autrefois parlaient latin : il est important de ne pas être compris si l'on veut être respecté ; un médecin d'aujourd'hui qui prescrirait de l'aspirine perdrait les neuf dixièmes de sa clientèle ; qu'il conseille des comprimés de rhinalgène et le voilà réhabilité.­

Robert Beauvais parle des restaurants qui rivalisent d'une imagination sans frein pour composer leurs menus. Il cite les "gastéropodes à la Charles le Téméraire" (Escargots de Bourgogne), le "concentré occitan de fleurs des abysses" (Bouillabaisse) ainsi que d'autres exemples tout aussi bouffons. Il explique qu'un des dogmes les plus solidement ancrés dans la tête de l'honnête homme contemporain est qu'il faut "comprendre son époque" ("être en prise directe avec elle" en hexagonal !). Or, notre époque est celle des ordinateurs, des laboratoires et des missiles, des sondages d'opinion, de la technicité et du progrès "explosif' (selon les médias) des sciences. "L'honnête homme" de notre époque se doit donc être scientifique et mathématicien. Malheureusement, les neuf dixièmes de ceux qui manipulent un porte-plume en France (et ailleurs), comme ceux qui prennent la parole à la radio et à la télévision, n'ont des sciences qu'une notion assez rudimentaire. D'où, chez l'écrivain et le journaliste, un complexe qui se traduit par une boulimie de mots savants, de réminiscences scientifiques élémentaires et de mathématiques mal digérées.

Vingt-cinq ans plus tard, il est certain que ce que Robert Beauvais a écrit peut être transposé facilement à l'anglomanie qui projette, chez les esprits simples, une image de haute spécialisation et de technicité. Cela facilite le travail du journaliste dans la mesure où il peut parler abondamment de n'importe quel sujet sans en connaître grand-chose. Comme ce langage est obscur, il donne l'illusion de la profondeur, car un écrivain qui s'explique clairement passe pour superficiel. "L'instruction" devient ainsi un moyen de dire des choses ordinaires avec des mots étonnants. Robert Beauvais ajoute :

» Ajoutons à cela que l'obscurité est toujours payante : de même que nous trouvons infiniment plus drôles les plaisanteries que nous arrivons à comprendre dans une langue étrangère que nous parlons mal, par le simple fait que nous l'avons comprise (et que nous y rions pour cette raison dix fois plus fort qu'il ne serait justifié), de même une pensée exprimée en hexagonal nous paraît cent fois plus profonde qu'elle ne l'est réellement, par le simple fait que nous avons réussi à en saisir le sens..»


http://agora-2.org/francophonie.nsf/Dossiers/Hexagonal

7 commentaires:

Barbara a dit…

tout à fait !



merci !

Barbara a dit…

et souvent ça frise le ridicule ou l'absurde

a contrario même avec mes pts bouts de 2 , 3 ans je donnais le "vrai terme " et pas un terme infantilisant ou gnangnan (tout en restant dans la compréhension générale pas besoin toujours des multiples détails qu'ils apprendraient plus tard)

un nouveau même long mot n'étant pas plus compliqué pour eux (et souvent ils étaient fiers d'en connaitre autant voir plus qu'un adulte !)qu'apprendre un terme bébé provisoire à désapprendre
ensuite

par ex des traits verticaux
un cocon ou une chrysalide de papillon un cercle etc etc !

manouche a dit…

" Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément."

Barbara a dit…

ahhhhhhh je crois que ma moitié a la suite

" le français kiskose "

à suivre !! ;o)

versus a dit…

Je le trouve très " carré" ce discours sur l' hexagonal, vraiment!

Manée de Font-Sarade a dit…

La langue française est une femme. Et, cette femme est si belle, si fière, si voluptueuse, si noble qu'on l'aime de toute son âme, et qu'on n'est jamais tenté de lui être infidèle.
(Anatole France)

Beaux mots Monsieur le bourdon !

le bourdon masqué a dit…

ce constat fait de cette mutation linguistique se retrouve également dans l'industrie où de simples péquins se transforment dès qu'il ont une promotion au sein de l'entreprise.Une petite couche de vernis et voici comme j'aime à leur citer Alphonse Boudard et sa "Métamorphose des cloportes".
Aigreur d'un bourdon,peut-être? Mais,car il y en a un,comme le chantait Ferrat:
"En groupe en ligue en procession
En bannière en slip en veston
Il est temps que je le confesse
A pied à cheval et en voiture
Avec des gros des petits des durs
Je suis de ceux qui manifestent
Avec leurs gueules de travers
Leurs fins de mois qui sonnent clair
Les uns me trouvent tous les vices
Avec leur teint calamiteux
Leurs fins de mois qui sonnent creux
D'autres trouvent que c'est justice."

Bzzz...