Tribunal de Paris
TERRIBLEMENT strabique, un Roumain qui a fauché un portable répond aux questions, quand la porte s'ouvre à grand bruit sur une procureure essoufflée qui fonce sur sa collègue de l'audience et lui souffle : " Le tribunal est-il averti pour ce "monsieur X" qui va passer ? Il faut une hospitalisation d'office ! Il est fou à lier ! L'ambulance sera là à 16 h 15 et n'attendra pas ! Il nous faut ce jugement ! » II est 15 h 30, et le Roumain marmonne : « Je suis désolé... », « ...De m'être fait prendre», rigole un avocat à voix basse.
La présidente regarde sa montre, ordonne au Roumain de se rasseoir-«Euh... monsieur, nous interrompons quelques instants...» et fait lever un autre prévenu qu'il faut absolument interroger un peu pour respecter, à la minute, le délai entre garde à vue et procès : « Monsieur, levez-vous ! Bien ! Vous serez jugé tout à l'heure ! » Et on fait relever le Roumain strabique, contre qui, malgré un casier vierge, la proc réclame 6 mois ferme et qui prendra 1 mois avec sursis.
« Bon, on prend X ? se dépêche la présidente, faisant redescendre au dépôt deux prévenus qui se tenaient prêts dans le box. -Je représente X! annonce un avocat. Et je ne comprends pas bien ce que X fait ici, il ne se rappelle même plus son nom ! »
Les minutes passent et X émerge, vieux baba aux yeux bleus ahuris, cheveux longs et rares,
montant son froc qui tombe. « Ho ! ho ! coucou ! » lui fait signe l'avocat. « Monsieur, vous n'avez pas voulu donner votre identité, commence la juge, il s'agit de violences, un coup de bouteille, des coups de pied et de poing, à quoi s'ajoute la détention d'un couteau .'Acceptez-vous d'être jugé aujourd'hui ? » X roule des yeux interloqués, et l'avocat suggère : « Sachant que vous allez être déclaré irresponsable, vous avez intérêt à dire oui ! » Les faits se sont déroulés près d'un McDo, où X faisait la manche et aurait frappé un mendiant. « Je lui ai juste posé une claque, à la suite qu' il m'a menacé, ses lunettes se portent très bien, contrairement à ce qu'il dit, et, pour le couteau, je l'ai pas sorti, il est tombé de ma poche ! Le personnel du Me Café peut vous le dire ! »
La présidente a ce sourire bienveillant que l'on réserve aux fous : " Vous ne travaillez plus depuis six ans, vous dites boire modérément, vous vous dites persécuté et, selon l'expert, vous souffrez d'une psychose paranoïaque. Des gens bien placés chercheraient à vous nuire ! » X hausse les épaules : « Ça me semble bien gros, vu que l'expert et moi on n'a passé que quinze minutes ensemble ! Il m'a proposé de venir dans son hosto, j'aurais le téléphone, une assistante sociale pour faire mes démarches, il dit que mes soucis avec la prison seraient finis... Mais bon, le psy, c'est pas mon truc ni trop mon lieu... » Jusque-là il n'avait pas l'air si fou. « Y a quand même
des enquêtes et des sites Internet, je sors pas ça de l'espace ! Eh ben, si en quinze minutes il me dit fou à délirer... Il est bien gentil, je lui ai demandé sa carte, il n'en avait pas ! Mais de là à...-Il dit que vous n'êtes pas responsable...
La proc réclame vite « une hospitalisation d'office " et l'avocat plaide : « Je suis docteur en droit, pas en médecine, mais je ne vois pas mon client délirer, ses yeux ne sont ni fous ni globuleux, il ne se roule pas parterre ! Ne serait-il pas juste un peu différent de la norme ? » Et, sur les faits, il demande " la relaxe, faute de preuves ». « Monsieur X, avez-vous quelque chose à ajouter ? demande la juge.-Oui ! Je fume dix cigarettes par jour et j'en ai eu que trois ! On me propose des tas de médocs, mais ni cigarette ni Nicorette ! - Hélas le tribunal n'en a pas .' II est plus de 16 heures, l'audience est suspendue, la salle se vide et la proc se lamente : «A force de se dépêcher, on va faire des bêtises ! Moi, je n'appartiens pas à ce service, je n ai pas demandé à venir là, on est réquisitionnés ! - Et, tandis que le gendarme drague la greffière, revoilà la proc essoufflée : .. Attention ! Oh ! là ! là ! S'ils l'ont pas à 16 h 15, ils me le prennent pas chez les fous ! C'est le malheur, avec les SDF, il n'y a qu'un seul hôpital qui les accepte !
Les juges reviennent. Hospitalisation d'office. Fou ! Les menottes crissent sur les poignets de X, tendus derrière son dos,
Dominique Simonnot (Canard Enchaîne, tiens lui aussi.)
Qui n'est pas passé par ce genre d'endroit en arrivant et/ou partant avec "les pinces" pourra toujours disserté sur les styles de société qu'il souhaiterait voir à l'étranger.
vendredi 5 août 2011
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2 commentaires:
C'est fou!!!
Alma dans ce fameux "Canard" ma priorité c'est "L'Album de la Comtesse" puis "Coups de barre".
Malheureusement ce dossier (ou affaire) ne représente qu'une infime part de ce qui se passe dans ce système judiciaire de "bas étages" une justice des humbles, pour ne pas dire "express".
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