"La Boite aux Images."

Stars systèmes

AVANT d'apprendre à se tenir sur ses pattes arrière, ce qui est déjà un sacré boulot, arrière-arrière-arrière-grand-papa de Lascaux devait se protéger du froid, des gros bestiaux aux noms bizarres qui ne pensaient qu'à le bouffer, des tempêtes, éruptions et tremblements de terre divers, plus fréquents qu'aujourd'hui. En plus, il s'est sûrement demandé, en regardant les étoiles, comment ça fonctionnait, ces drôles de lumignons plantés très loin au-dessus de sa tête. Il y a vingt ans, on pensait que, lorsqu'il se mettait à peindre les murs de sa grotte, c'était pour occuper les longues nuits d'hiver ou rendre hommage aux animaux qu'il chassait.

Mais une chercheuse incrustée dans la vallée des Merveilles, au-dessus de Nice, vers la frontière italienne, à force de regarder de plus près les 35 000 gravures que notre ancêtre a laissées il y a dix-sept mille ans, à l'âge du bronze, a constaté que tous ces poignards, ces haches, ces hallebardes, ces cornes de taureau avaient un sens complètement autre : les pointes indiquaient toutes une direction précise de l'horizon par rapport au coucher du soleil. Les équinoxes et les solstices, en particulier. Notre lointain aïeul s'était fabriqué un observatoire astronomique bien pratique pour décider du moment où il fallait redescendre vers les plaines avant la neige. Pour mieux s'y retrouver, il avait même noté les phases de la pleine lune tous les vingt-huit jours.

Cette chercheuse, Chantal Jègues, s'est ensuite immergée à Lascaux, jusque-là considérée comme le plus beau musée rupestre du monde, une sorte de chapelle Sixtine des temps paléolithiques. Ce fut pour remarquer, en 1999, que le soleil pénétrait dans la grotte à une seule date : le soir du solstice d'été, le 21 juin. Ce qui sacralisait dès lors le lieu et expliquait pourquoi il avait été décoré avec tant de ferveur. Les scientifiques eurent une réaction unanime : se gondoler devant les « inventions » ineptes de Mme Jègues. A de rares exceptions près, dont Michel Geneste, le conservateur de Lascaux, qui la suivit. Elle persévéra. Parcourut 20 000 km dans la Dordogne et le Périgord. Etudia 130 grottes. Seules celles qui offraient une similitude étaient décorées. Les autres, non. Ce qui permettait de prévoir les saisons. Pas si mal, pour un « primitif ». A 13 heures ce samedi 6 août, en cette période où nous voyons le mieux notre grand vaisseau cosmique, la Voie lactée, Arte a choisi une grisante introduction à sa « Nuit des étoiles », garantie éblouissante, deux documentaires époustouflants sur l'état actuel de nos connaissances.

L'un nous a emmenés dans un magnifique voyage à travers les 200 milliards d'étoiles de la Voie lactée, depuis sa grande banlieue jusque vers son centre, occupé par un trou noir gavé de matière et d'énergie noires tellement condensées que tout s'y engouffre sans espoir d'en ressortir jamais, même la lumière. Et nous avons appris à cette occasion, si nous ne le savions pas grâce aux astronomes depuis plusieurs années, que la matière noire est partie constituante de notre univers. Elle est née en même temps que les galaxies, il y a douze milliards d'années.

Le second documentaire nous a appris que c'est dans douze milliards d'années également que notre disparition est programmée : quand notre galaxie se taponnera avec sa voisine, la géante Andromède. C'est irréversible. Mais ça laisse tout de même le temps de regarder les étoiles et de rêver.

Bernard Thomas     (Canard Enchaîné 10/08/11).